lundi 18 janvier 2021

HYMNE, d'après le livre de Lydie Salvayre

 


Chez les amérindiens Kunas, MOLA veut dire : le plumage de l'oiseau. 

Sur scène, ce que je donne à voir est aussi important que les mots et la musique. Nous sommes sans cesse matraqués visuellement par des images qui nous disent ce qui est beau, ce qui a de la valeur, ce qui est enviable... J'essaye d'habiter ce langage des images où je trouve la liberté de le faire. Pour moi, c'est sur scène, et le vêtement y a un sens. HYMNE a bénéficié d'une très belle création costume signée par Coline Dalle. La femme qui s'exprime dans ce spectacle a plusieurs âges. Elle est la grand-mère de Jimi Hendrix, celle qui lui conte l'histoire de la famille et , à travers elle, éclaire et révèle celle des États-Unis d'Amérique. Elle est la mère de Jimi Hendrix, merveilleuse artiste, femme aspirant à une liberté qu'elle n'atteindra jamais , et qui finira, très jeune, noyée dans la tristesse et l'alcool. Elle est une femme forte et combattante, consciente des brûlures de l'Histoire. Elle est Jimi Hendrix, elle est Lydie Salvayre. Elle évolue des temps précolombiens jusqu'à nos jours. Sur cette photo, elle porte une jupe dont la conception s'inspire de la technique du MOLA. Des tissus sont superposés et ces différentes strates apparaissent à travers des découpes géométriques, dans un équilibre de couleurs et de formes. Le MOLA est une scuplture qui se révèle en découvrant ce qui la constitue. Bref, un grand merci à Coline Dalle pour ce déploiement et cet envol.

HYMNE sera en mai 2021 à Bordeaux, au CDCN La Manufacture en collaboration avec le Glob Théâtre, en juillet au festival d'Avignon, à la Chapelle du Verbe Incarné (TOMA), puis à Ménerbes, en collaboration avec la Maison Dora Maar.

jeudi 14 janvier 2021

Hymne, reloaded ?

 

© Stella Iannitto


L’année dernière, à cette même période, commençait ma résidence de création pour Hymne, au théâtre Antoine Vitez à Ivry. C’est une étape de réalisation très joyeuse parce qu’elle concrétise au moins deux ans de préparation en amont et qu’elle permet de rompre une forme de solitude, en rassemblant enfin les autres membres de l’équipe. 


Mais pour trouver le point de départ de cette aventure, il me faut remonter en 2017, au Festival du livre de Mouans-Sartoux où je venais d’être programmée avec Frères migrants. Depuis la parution du magnifique ouvrage de Patrick Chamoiseau, nous avions enchaîné les scènes de toutes sortes, de théâtre, de musique, des festivals littéraires ou des rassemblements associatifs… Selon les possibilités, je venais seule ou en musique avec Felipe Cabrera et Laurent Maur, Samuel F’hima ou Zacharie Abraham. Il fallait que ce texte circule toujours un peu plus, que les mots prennent corps, qu’ils s’envolent du papier et vibrent dans une expérience commune. Qu’ils ne puissent être balayés d’un revers de page, qu’ils aillent aussi où ils n’étaient pas attendus et qu’ils rejoignent nos intuitions, amplifient nos grondements. Qu’ils nous confortent en révélant in situ que oui, nous sommes très nombreux à refuser de traiter la vie comme une matière à exploiter, très nombreux à reconnaître qu’il est salvateur pour tous d’être attentif à autre que soi-même. Je ne remercierai jamais assez l’auteur d’écrire comme il le fait, en matières, couleurs, sons, sueur et battements de cœur, en partition idéale aux continuités artistiques. 

Donc en octobre 2017, cela fait des mois que je rencontre des personnes qui s’insurgent contre les murs dressés entre les humains. Mais, si dans une premier temps ces moments sont moteurs, je finis par ressentir comme une pesanteur de voir le fossé s’agrandir entre les solidarités citoyennes et les logiques gouvernementales. J’avais une sensation similaire face à l’éloignement entre mes désirs de création et les soutiens institutionnels. Ce n’est pas la même chose, certes, mais ce n’est pas sans rapport. C’est une gestion générale qui est délétère. Et pour nous artistes, il s’agit d’un effort incessant pour convaincre et forcer la prise en compte de l’essentiel, par les décisionnaires, pas seulement renouveler mais sans cesse forcer. Je ne vois pas comment nous pourrions avancer si le seul objectif commun est de préserver son pré carré, en particulier si les seules considérations centrales sont d’ordre administratif et financier. Dans les textes que je porte il est, entre autres, toujours question de dépasser les frontières, quelles soient matérialisées ou intégrées dans nos modes de relation et de raisonnement. Et il s’agit pour moi d’être cohérente jusque dans les équipes que je rassemble (où nous sommes tous très différents), dans les diverses formes d’expressions que je donne à voir et entendre simultanément, et aussi dans la pluralité des publics que je rencontre. Et ce n’est pas si utopiste puisque, quand j’y parviens malgré tout, ces publics bien heureusement inclassables, s’y retrouvent. Mais où en sera la diversité du propos, déjà loin d’être effective, quand ne monteront sur scène que les artistes qui répondront aux critères répertoriés et figés par les machines institutionnelles, ou qui auront le bon carnet d’adresse (fossilisé dans l’entre-soi) et pourront autofinancer l’élaboration d’un spectacle. Mon constat est que la production dans l’industrie du spectacle vivant est tout simplement nécrosée et le filtrage socio-culturel qui y est pratiqué s’en trouve de plus en plus exclusif et excluant, de ce point de vue il est très performant. Dans ce contexte, il me fallait une embrasure, prendre l’air et peut-être aussi revenir à moi pour être présente un peu mieux. Bref, je devais trouver d’autres points d’implication, entre les interstices.

Et ce jour-là, en sortant de scène au festival de Mouans-Sartoux, je rencontre une femme avec qui, en peu de mots, quelque chose de simple et de vrai se passe. Je ne la connaissais pas, j’apprends qu’elle écrit. Elle évoque l’un de ses livres, Hymne, et me propose d’y voyager. J’ai su sans l’avoir lu qu’il était un nouveau point de départ, un nouveau résonateur relayant les précédents. Une intuition qui s’est confirmée dès les premières lignes. Non : dès que, le livre au creux des mains, j’ai plongé dans les yeux de Jimi Hendrix, profonds, en photo de couverture, puis que j’ai été accueillie par ces vers d’Ossip Mandelstam, Mandelstam…! : « Mon siècle, mon fauve, qui pourra Te regarder droit dans les yeux » et, que suivant l’onde, je me suis sentie accompagnée dès cette première phrase de Lydie Salvayre à propos de Hendrix : « on dit qu’il était timide ». Au fil des mots, une filiation se restaure, offerte aux polyphonies. Avec ce récit, qui nous plonge dans l’histoire du musicien de génie, nous sommes dans une reconnaissance des liens, de ceux qui nous animent en débordant, en submergeant les assignations à résidence. Et l’on s’y souvient, pour mieux avancer. L’effacement, l’écartèlement du souvenir nous met à terre. Ce livre ne donne pas à voir, il ne cherche pas à faire comprendre, il engage le Nous en faisant voler en éclats portes et fenêtres. J’y trouve l’annonce de mes prochaines cérémonies païennes, la grisaille s’éloigne enfin.

Nous voilà revenus à Ivry. L’année dernière, en janvier, au théâtre Antoine Vitez. Il y fait bon travailler et le lieu porte bien son nom. L’équipe y défend la création, et les causes communes y ont un sens et une place, ce n’est pas si courant. Les grèves ne nous ont finalement pas desservis. Avec le recul, j’ai plutôt l’impression du contraire. J’étais en accord avec cette montée contestataire, mais les interruptions des transports refroidissaient la fréquentation des lieux culturels. Nos premières ont pourtant eu un public nombreux et enthousiaste, nous avons même affiché le fameux « Complet » à plusieurs reprises. Des journalistes se sont déplacés, nous gratifiant d’articles élogieux. Je vous ai alors donné rendez-vous au printemps, mais c’était sans compter le confinement. Cette fois, j’espère tenir ma promesse de retrouvailles dès le mois de mai. Nous commencerons, reprendrons, à Bordeaux. Mais d’ici-là, je partagerai d’autres choses, histoire de ne pas laisser l’hiver prendre trop de place.

« En jouant THE STAR SPANGLED BANNER, ce matin du 18 août 1969 à Woodstock, Hendrix fit renaître le sentiment d’une fraternité dont les hommes étaient devenus pauvres, et prêta vie à cette chose si rare aujourd’hui qu’on appelle, j’ose à peine l’écrire, une communauté, une communauté formée, là, dans l’instant, une communauté de malheur comme il s’en forme chaque jour (on dit que le malheur rapproche et cette idée me fait horreur), non pas une communauté complaisamment apitoyée ou romantiquement doloriste, ni une communauté sous narcose, je veux dire religieuse, non, non, non, mais une communauté de force et de colère mêlés, une communauté de solitaires, chacun plongés entièrement dans sa musique, chacun y trouvant domicile, mais au rythme de tous. » HYMNE de Lydie Salvayre, aux éditions du Seuil.

Hymne sera en mai à Bordeaux, au CDCN la Manufacture, en juillet au festival d’Avignon, à la Chapelle du Verbe Incarné, puis à Ménerbes, en collaboration avec la Maison Dora Maar.