mercredi 19 janvier 2022

Pensée pour Chantal Akerman : Faire de la place au temps

 https://youtu.be/8pSNOEYSIlg


Je me souviens d’un moment estival, juste après le repas que j’avais préparé dans la matinée, juste après le ménage qui était juste après le petit déjeuner que j’avais servi tout en dressant la liste des courses, bon, des vacances normales en famille, donc en faisant la vaisselle du déjeuner, j’écoutais la radio tout en me disant qu’il me fallait trouver du temps pour travailler. Idée qui emmerdait bien tout le monde puisqu’elle électrisait l’ambiance qui devait être insouciante, douce et reposante, bref, je tends l’oreille à cette voix de fumeuse acharnée qui, répondant à la question de comment lui viennent ses projets en tête, disait en somme qu’elle ne faisait rien, surtout rien. Et que laisser le temps s’écouler en étant attentive à son propre rythme et en ne fuyant pas l’angoisse du vide, permettait aux idées de faire leur chemin à partir d’une expérience vraiment intime et singulière. Ce que disait là Chantal Akerman était lumineux, évident, mais cela me paraissait bien complexe à mettre en œuvre…Où le trouver ce temps, comment m’y prendre ? Il fallait désorganiser les choses, déstructurer le quotidien, celui si bien organisé pour pouvoir tout faire, et tenir à distance tout ce qui comble les brèches propices au recul, à l’observation ou pire : au constat, au choc qui vous fait ne jamais revenir comme pendant la fameuse heure en trop de Jeanne Dielman. 


Incroyable, mais quelques mois plus tard Chantal Akerman demandait à me rencontrer. Ce moment qui ne devait pas dépasser la demi-heure a fait péter le cadrage temporel. Nous nous sommes mises à se parler sur-le-champ, à explorer sur-le-champ, à ne plus compter sur-le-champ. Un moment de vie d’une grande intensité pour moi. Nous étions là, pleinement, et nous nous sommes dit que nous allions faire quelque chose de ce qui venait de naitre. L’une des plus belles rencontres de ma vie. Puis beaucoup de choses se sont obscurcies dans la sienne, chienne de vie, et elle a préféré partir. J’ai été incapable de dire quoi que ce soit à l’annonce de son décès et je ne sais toujours pas comment le dire mais bon, j’ai été immensément triste. J’ai pensé à elle en faisant HYMNE qui parle aussi du temps qui parait toujours trop long quand on veut ne pas rester en surface des choses, particulièrement face à sa marchandisation qui pousse à l’optimisation de chaque geste. « Lenteur » essentielle et accélération imposées, un piège qui fut fatal à Jimi Hendrix… Mais je vous raconte tout ça parce que je suis rarement ici ces temps-ci à cause de cet espace-temps de préparation que je laisse épaissir. Il me fera revenir sur scène en duo avec Kamilya Jubran, sur les textes de Souad Labbize, et avec d’autres projets dont je vous parlerai bientôt. 


Alors chemin faisant, je vous souhaite une 2022 à votre tempo, nourrie de vos inspirations au nombre de vos « moi », au cas où cela nous serait utile, contre vents et marécages montants, de commencer par prendre place dans nos vies.


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